Il y a quelques années, grâce à un ami, j’avais découvert 10 conseils qu’un agent américain, Nathan Bransford (à présent auteur lui-même) donnait à ses auteurs. Vous pouvez les retrouver ici. Je les avais imprimés, rangé dans un dossier et promptement oublié (ce qui m’arrive quand même assez souvent… Je sais, je suis un vrai écureuil parfois).
Dernièrement, j’ai retrouvé (par miracle) cette feuille et un des conseils m’a sauté aux yeux. « Recognize the forces that are outside of your control » ou en VF « reconnaître ce que vous ne pouvez contrôler ». Cette phrase m’a donné du grain à moudre et m’interpelle tout particulièrement ces derniers temps.
Un auteur, s’il veut se faire publier de manière traditionnelle (j’entends par là éditeur à compte d’éditeur) se confronte très tôt à des forces qui, effectivement, lui échappent. C’est d’abord l’épreuve des comités de lecture, des choix éditoriaux et/ou des goûts de l’éditeur lui-même. C’est aussi le contexte économique dans son ensemble, qui peut décider une maison à lancer (ou non) un auteur jusque-là inconnu (ou presque) dans sa collection. Je pense que tous ceux qui ont un jour passé cette épreuve comprendront ce que je veux dire en parlant de l’attente, de l’adrénaline qui nous saute dessus quand il y a un nouveau mail et de la déprime quand on guette les coups de fil !
A présent que j’ai passé ce cap, j’appréhende d’autres forces échappant au contrôle du lecteur, bien plus nombreuses qu’un comité éditorial. Ce sont les lecteurs (je range dans cette catégorie les chroniqueurs et bloggeurs, bien sûr !) qui sont susceptibles de donner un avis sur votre bouquin. Vous me direz que ça vous paraît assez évident. Et vous aurez raison. Néanmoins, cette réalité n’est pas si facile à appréhender une fois que vous vous retrouvez de l’autre côté du miroir.

Accepter que votre livre (qui est quand même votre bébé) vous échappe d’une certaine manière, quand un éditeur l’accepte et veut travailler avec vous dessus, est une chose. Accepter que votre bébé vous échappe aussi quand il se trouve dans les mains de lecteurs, qui auront leur propre interprétation de l’histoire que vous avez voulu livrer, en est une autre. Quand je parle de « lâcher prise », je veux dire que d’une certaine manière, vous n’avez plus le contrôle de votre œuvre. Les lecteurs s’en emparent, relèvent ce qui leur plaît ou non, appliquent leurs goûts personnels dessus… C’est humain et logique. Nous faisons tous ça quand nous lisons un texte.
Cependant, quand vous êtes l’auteur en question, l’effet peut être déconcertant et ce pour des tas de raisons : vous ne retrouvez pas votre histoire dans les avis des lecteurs ; vous n’êtes pas d’accord avec un tel sur son opinion ; ou encore vous vous demandez pourquoi on ne parle pas plus de votre bouquin… Et vous savez quoi ? Là aussi, c’est humain.
Maintenant, je passe de l’autre côté du miroir, vu que je suis aussi chroniqueuse. Cela me plairait-il qu’un auteur me demande régulièrement quand je vais lire son bouquin ? Ou qu’il me dise que ma chronique ne lui plaît pas pour X raison ?
Bien entendu, les rapports entre auteurs et lecteurs ne se passent pas toujours ainsi (et encore heureux !) J’ai d’ailleurs fait de très belles rencontres, que ce soit par le biais de mes chroniques ou de mes textes publiés en tant qu’auteur. Discuter avec les auteurs de ces chroniques est hyper précieux, les avis se révèlent souvent enrichissants et les échanges, passionnants !
Néanmoins, inutile de se voiler la face : aucun livre (si c’est le cas, qu’on me le signale !) ne fait l’unanimité. Vous pourrez tomber sur des avis en demi-teinte ou négatifs. Vous pourrez aussi vous demander si quelqu’un a lu votre livre, en fin de compte, vu que personne ne semble en parler. Je vous conseille de lire l’article de Cécile G. Cortes là-dessus d’ailleurs.
Si je ne suis pas encore passée par ces stades pour les « Outrepasseurs », je me suis déjà posé ces questions à l’occasion des parutions de « Au service des insectes » et du « Serpentaire ». Ce que je vous livre ici n’est donc pas une quelconque méthode du « bon auteur » – je ne pense pas qu’il en existe d’ailleurs – mais plutôt le fruit de ma réflexion.
Au final, lâcher prise me convient bien, même si ce n’est pas toujours facile de l’appliquer. Il faut choisir quoi faire des heures qui ne sont prises n ipar le boulot, ni par les proches, etc. En premier lieu, je suis un auteur et mon choix est donc vite fait: ce sera l’écriture avant tout. Ce qui ne me dispensera pas de jouer la curieuse de temps à autre ! Bien sûr que j’irai voir les diverses chroniques – s’il y en a – sur mon roman. Bien sûr que toutes ne me feront pas plaisir et que je stresserai devant mon écran. Bien sûr que je sauterai au plafond (enfin aussi haut que je peux !) devant certaines. Bien sûr que discuter avec des lecteurs, lors de rencontres ou de dédicaces, me fera plaisir (si on veut faire éditer ses écrits, c’est quand même aussi pour les partager avec ceux qui vont nous lire).
Néanmoins, je me rends de plus en plus compte qu’il existe une ligne à ne pas franchir (du moins, selon moi). Je ne veux pas courir le risque de ne retenir au final qu’un tel n’a pas parlé de mon texte ou n’en a pas parlé en bien (ma copine Lise Syven en parle très bien dans cet article )
De plus, il ne faut pas oublier qu’il y a des personnes, des sensibilités derrière les auteurs comme derrière les lecteurs. Chose évidente peut-être, mais qui a tendance à être gommée par les interactions virtuelles. Je pense que le respect est valable dans les deux sens, puisque chaque acteur de cette relation créée par le livre est nécessaire pour son bon fonctionnement.
Je clôture là pour le moment ma réflexion à ce sujet. Celle-ci n’est sans doute pas finie, je pense au contraire qu’elle ne fait que commencer !
Une réflexion très intéressante !
Je n’aimerais pas être à la place d’un auteur, en effet, le ressenti devant des critiques mitigées doit être difficile pour l’égo… Je repense à la vidéo que tu avais partagée avec Samantha Bailly qui commentait des avis de lecteurs en direct, et certains n’étaient pas faciles à avaler. Bref, je comprends totalement ton appréhension et te transmets toutes mes bonnes ondes !
En tant que chroniqueur, ce n’est pas simple non plus car on sait que certains auteurs francophones peuvent lire nos chroniques, et du coup, ça amène parfois à modérer notre propos. Mais n’est-ce pas un peu hypocrite ? Je ne sais pas… Je sais que je l’ai parfois fait dans le cas d’auteurs présents sur la blogosphère et susceptibles de tomber sur mon avis, dans la mesure du raisonnable et pour épargner la sensibilité de l’auteur, mais j’ai eu l’impression de tricher.
C’est curieux car je me suis récemment posé le même genre de question (mais inversée) à propos des Outrepasseurs. Je me suis dit : « Et si le livre ne me plaît pas, est-ce que je prends le risque de le dire dans ma future chronique et de blesser Cindy ? » Pas facile ! Je te promets donc d’être sincère, dans tous les cas, mais j’ai un trèèèès bon pressentiment de toute façon… 😀
Bref après cette petite tartine, j’espère que ton bébé trouvera un bel écho auprès de plein de lecteurs !
Ta réponse est tout aussi intéressante, la Miss.Je comprends ce que tu veux dire par la présence d’auteurs qui peut influencer. Perso, tant qu’il est sincère et constructif (j’entends par là que l’auteur de la chronique n’a pas descendu en flammes gratuitement), je pense que tout avis est bon à prendre (ce qui répond à ta question concernant ton appréciation des Outrepasseurs à venir ;-))) Ca peut être enrichissant sur le long terme, même si ca ne fait pas toujours plaisir sur le coup 😉 Pour mon appréhension…. hé bien ca fait partie des règles du jeu, quand tu publies un texte. Néanmoins, quand tu es dans le cas, tu n’appréhendes pas toujours ceci et tu peux te trouver dépourvu (personne n’a encore créé de cours 2.0 pour les futurs auteurs 😉
Tiens, je t’ai aussi répondu par une tartine 😀
C’est pour ça que j’ai décidé de ne jamais répondre aux chroniques publiées sans qu’on me le signale, bonnes ou mauvaises : je ne veux pas influencer les blogueurs. Et tant pis pour ma pomme si le roman n’est pas compris, de toute façon c’est trop tard pour rectifier le tir ^^
Quant au lâcher prise, tu sais combien je suis d’accord avec toi ! Et Chartier aussi, d’ailleurs, qui explique que pour un même roman, il y a autant de récits différents que de lecteurs. C’est comme élever un enfant et finir par le laisser vivre sa vie hors du domicile familial : il fait ses propres rencontres, change, revient aux sources… 😉
Bel article, dear !
Jolie métaphore ma belle, avec laquelle je ne peux qu’être d’accord !
Entierement d’accord avec toi Cindy. Je crois qu’il faut accepter les avis tels qu’ils sont, et se dire que, ce qui n’a pas plus aux uns plaira peut-être aux autres. De toute façon, comme tu le soulignes, un livre ne fera jamais l’unanimité. Bien sûr c’est parfois difficile lorsqu’on a l’impression de ne pas avoir été compris. Mais « l’impression », c’est subjectif ^^.
Quand aux personnes qui prennent la peine de chroniquer nos ouvrages dans la blogosphère, je pense qu’elles s’exposent également à la critique en formulant leur avis. Et rien que pour cela (que la chronique soit bonne ou plus réservée), elles méritent notre respect.
Le lâché prise, c’est la voie de la sagesse. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit facile à suivre ^^.
Tu as parfaitement raison, Eve, pour ce qui concerne les chroniqueurs, qui prennent de leur temps et de leur énergie pour livrer leurs avis. Merci pour ton avis, ca fait toujours du bien de te lire! 😉
J’aime beaucoup ton article aussi ma très chère et je vais faire pour demain un petit article sur le débat entre Flaubert et Sand sur les rapports avec leur lecteur, je pense que ça va d’autant plus te parler. Sinon, pour la modération du propos dans les chroniques, je pense que c’est quand même important de chroniquer en pensant à l’humain-auteur qui est en face, ça n’oblige pas à être hypocrite, je crois mais à être mesuré. Je ne l’étais pas assez au début sur Callioprofs et je pense que je n’ai pas toujours été juste avec les auteurs.
Oui, exactement pour penser à la personne derrière. Et je lirai ton article (comme les autres d’ailleurs!) avec grand plaisir !
Chouette reflexion … Ca doit pas être simple ceci dit, de ne pas réagir à de critiques négatives, même si ça fait partie du jeu. Se raisonner à ce moment là doit demander beaucoup d’efforts même si on sait dès le début que le livre ne peut pas faire l’unanimité.
Ce n’est pas simple, effectivement. Mais hurler sur l’auteur de la chronique, qui au fond ne commet pas d’autre « crime » que livrer son avis, n’est pas une solution (même si je me doute qu’on doit en avoir très envie à certains moments). Pour ça que je dis aussi qu’il faut penser aux personnes derrière l’écran, que ce soit l’auteur ou le lecteur.
C’est très intéressant comme article! C’est vrai qu’en tant que bloggueuse, j’essaye toujours de structurer mes avis et si quelque chose ne m’a pas plus, je prends le temps d’expliquer pourquoi tout en sachant que ce n’est qu’un avis personnel et que peut-être tel ou tel élément pourrait plaire à d’autres! Récemment, j’ai fait la chronique d’un livre d’une auteure qui m’avait contactée et elle s’inquiétait de savoir si ma chronique pouvait lui faire du tord ou pas… Et finalement, en regardant les commentaires de mon article, même si je n’avais pas été 100% emballée, des gens étaient tentés par le livre! Au final, je pense que si tout se fait en respectant aussi bien les auteurs que les chroniqueurs, tout devrait bien se passer 🙂
C’est ce qui fait, je pense, toute la richesse d’une chronique : certains éléments que tu n’as pas appréciés peuvent justement plaire à d’autres (ca m’est arrivé aussi de me dire ça à la lecture d’un billet) 😉
Tu as bien raison d’écrire que le respect est valable dans les deux sens. Si j’étais publié, je me verrais mal commenter une critique négative à propos de mon roman, par respect pour l’auteur du billet. Mais j’aurais sûrement envie de remercier par mail l’auteur d’un article enthousiaste ^^ En tant que blogueur, j’ai pris le parti de ne chroniquer que les romans que j’ai aimés, car j’ai bien conscience que les mots peuvent être destructeurs (c’est vrai que je n’ai pris de gants avec le dernier film de Peter Jackson, mais bon je ne pense pas qu’il soit francophone, ça va !).
Encore un billet intéressant, bravo 😉
On ne sait jamais Captain 😉
Blaguàpart, je comprends l’intention. Perso, si j’ai vraiment détesté un bouquin – ca m’arrive rarement, mais bon – je préfère aussi ne pas en parler. En revanche, s’il y a à boire et à manger, je pense que comme j’en parlais auparavant, ca peut décider les autres lecteurs à y jeter un oeil à leur tour 😉
Je trouve que le cas de figure « à boire et à manger » n’est pas si simple mine de rien… Mais tu as raison, parfois une critique mitigée (voir mauvaise) m’a donné envie de lire un roman, surtout quand il s’agit d’un bouquin jugé « farfelu » 😉